Cartels décalés d’une exposition masquée
Septembre 2020, entre deux vagues de Covid, entre deux confinements, une récréation est offerte aux Amis par l’équipe d’animation du Musée dans le cadre de l’exposition « Réserve, ouvre-toi ! » : réaliser au cours d’un atelier d’écriture une série de cartels décalés sur une quinzaine d’œuvres sorties des réserves du musée et assez rarement exposées.
Qu’est-ce qu’un cartel décalé ? Dans l’esprit de l’équipe, il s’agit d’un texte court, s’appuyant sur le tableau en tant que décor ou sujet, mais laissé à la liberté créatrice des auteurs, qui doivent investir ce tableau, l’habiter, le faire vivre au-delà d’une simple description. Le décalage peut se situer dans le ton, dans le temps, dans le regard porté, ou dans les mises en contraste, les prises de distance avec le sujet.
L’objectif pour ces cartels était d’interpeller le visiteur, de lui suggérer un regard non technique sur l’œuvre, de proposer une autre façon de voir et de circuler dans un musée… Et que les Amis du Musée puissent dévoiler leur personnalité et leur originalité.
Ce bref moment de retrouvailles entre deux périodes de confinement fut pour la quinzaine d’Amis réunis ce 9 septembre 2020 l’occasion de laisser vagabonder leur propre et fertile imagination.
Qu’on en juge…
Victor Joseph Roux-Champion
Pluie sur le Belon
Eau-forte © Photo Laurent Bruneau-Protocolor-29qle
J’aurais voulu les retenir, mais c’est d’Océan dont ils rêvent. Pourtant, je leur offre une rivière marine apprivoisée, des méandres où se perdre, des bouquets de grands pins qui disputent aux nuages l’immensité du ciel. Mais non, à peine aperçoivent-ils un peu de mer à l’horizon qu’ils pensent déjà à border leurs voiles en guise d’adieu. Moi la ria, je ne serai jamais qu’un passage entre deux mondes, alors que l’appel du large les ensorcelle comme le chant des sirènes. Peut-être suffirait-il du talent d’un artiste.
Alain Jean
Xavier Josso
Pen Hareng
Aquarelle © Musée de Pont-Aven
Ah ! Enfin le calme ! Quel soulagement ! Je peux trottiner sans risque, laisser vagabonder mes pensées. Tout le monde est parti au petit matin vers les champs. Les maisons sont vides, me voilà seule, ce n’est pas pour me déplaire. Le tohu-bohu dès le lever du soleil ! Les enfants (trois, quatre, cinq par maison) se poursuivent en criant à tue-tête au milieu des chiens qui aboient joyeusement. Les hommes se hèlent sur le seuil de leur porte rassemblant pelles, pioches, fourches tandis que les femmes s’activent à l’intérieur. Tout ce vacarme au moment du départ !
Ouf ! Plus personne. Le silence. Rien ne vient troubler mes songeries pas même le crissement de mes sabots qui ripent sur le sol. Le bonheur !
MCLB
Victor Joseph Roux-Champion
Marchande de berlingots
Aquarelle, gouache, crayon © Musée de Pont-Aven
Une jeune fille en fleur
(en attendant Godot…)
Déjà bien dégourdi le petit de Soizic…
Bientôt ce sera mon tour…
Quand Fañch rentrera, on se mariera… p’t-être que j’aurai un petit, comme Soizic…
Mamm Gozh ? Elle veut rien entendre de tout ça.
Elle dit que je suis trop jeune pour me mettre la corde au cou, que j’ai bien le temps d’avoir des malheurs.
Sûr qu’elle en a eu des malheurs, Mamm Gozh : la mer lui a pris son homme, puis ses trois gars… et noyé la lumière dans ses yeux.
Oui, mais avec Fañch ça sera pas pareil… il est costaud et courageux, il s’en sortira toujours !
Mon Fañch… je l’attends… il me tarde.
Marie-O.
Ernest Correlleau
Paysage de Nizon
Huile sur toile © Musée de Pont-Aven / Photo Isabelle Guéguan
C’est l’automne, les couleurs se font la guerre. J’ai descendu le village et laissé derrière moi l’indifférence, mon labeur et mes peines.
Je suis assis à tes pieds, l’herbe est douce. Tu es là…
Tu me laisses puiser ta force quand je te regarde, quand je t’admire, quand je te touche, quand je t’enlace.
Tes racines dans l’eau qui danse diluent mes tourments, mes chagrins et mes larmes, ton écorce grise et rêche râpe mes mains et mes joues,
mais qu’importe : je vis…
Laurence Sintic
Christian de Marinitsch
Les Toits bleus, Pont-Aven
Pastel et gouache © Musée de Pont-Aven
Ceci est Pont-Aven.
Pour en voir vous aussi les toitures, il vous faudrait monter au Bois d’Amour !
De ces rues, de ces maisons et de ses habitants, une récente émission de télévision n’a hélas rien révélé ; pas même suggéré ce que fut ce village tant aimé, ce qu’il est aujourd’hui…
Pourtant, combien de toits abritent encore une œuvre originale d’un Peintre de Pont-Aven ou d’un peintre… de passage ! Le village tout entier, derrière ses multiples vitrines, dans ses ateliers, dans son musée…, accueille depuis toujours peintres et artistes.
Que vous restiez ou ne faisiez que passer, vous êtes ce village !
Jean-Pierre Frontier
Henri Delavallée
La Vieille fumant sa pipe
Matrice en cuivre © Musée de Pont-Aven
Enfin, enfin je m’assois. Que cette journée fut longue.
Si tu reviens un soir, tu me retrouveras à la même place près de la cheminée avec ma pipe. La pipe que tu m’as offerte, que tu as faite, et ce tabac si bon que tu as rapporté d’un de tes voyages.
Comme c’est dur de t’attendre! Mais ta pipe est là.
Chou, carottes, pommes de terre et lard fumé… A quoi bon… L’odeur de ton tabac couvre l’odeur de la soupe.
Comme tu me manques ! Mais ta pipe est là.
Je suis fatiguée.
Comme tu me manques.
Catherine Jouanneau
Fernand Jobert
La Rivière de Belon à Lanriot
Aquarelle, gouache et crayon © Musée de Pont-Aven
Le trait !
Là où je ne voyais qu’une rivière serpentant entre les champs qui viennent s’y noyer,
Là où je ne voyais que des barques envasées,
Là où je ne voyais qu’un hameau de maisons isolées,
… je ne vois plus que ce trait.
Trait d’ébauche pour le mât du misainier, aussitôt regretté et presque effacé ?
ou, au contraire,
Trait ajouté pour faire vivre, bien qu’à demi cachée, cette barque de pêche ?
Cette hésitation suggérée par ce trait me rapproche de l’artiste !
Elle bouscule pendant quelques instants la contemplation de cette ria, superbe mariage de la terre et de la mer.
MM
Henry Sérusier
Couple enlacé de dos
Aquarelle © Musée de Pont-Aven
– Alors là, tu vois, je pense qu’on s’est fait avoir :
– Prends la clef des champs et l’avenir s’ouvrira devant toi, qu’il disait et voilà, y’a rien, que dalle, netra !
– Courage mon ami ; je suis là, je suis ta femme et donc ton avenir… Enfin, il paraît.
– Et en plus j’ai perdu une godasse.
JFK
Maxime Maufra
Falaises de Bilfot
Aquarelle et fusain sur carton © Photo Laurent Bruneau-Protocolor-29qle
Lignes de fuite
Mais monsieur le commissaire je l’ai vu ! Je pêchais dans la crique.
Avec son chapeau noir – remarquez, tous portent un chapeau noir- c’est Maxime son prénom ?
Ou un prénom bizarre : Roderic ?
Il était là tout l’après-midi, jusqu’au couchant. Pourtant la dune est verte, pas rousse. Mystère ! Vous savez les artistes ! Il avait l’air nerveux, d’ailleurs cela se voit. Agressifs ces coups de crayons, hein ! Ces lignes noires ! Mais on dirait qu’il n’a pas terminé.
Pourquoi c’est pas terminé ? Une fuite en bateau ? C’est loin l’Irlande ? Enfin si c’est l’irlandais ! Mais ce peintre, l’irlandais, ou le nantais, il reviendra peut-être la terminer la crique !
Christiane Pichon
Clémence Molliet
Paysage (environs de Pont-Aven)
Pastel © Photo Laurent Bruneau-Protocolor-29qle
Les rayons du soleil s’étirent sur l’herbe verte de la douce prairie, exprimant le mouvement de notre planète, renforcé par l’or des arbres au-dessus de la prairie et de la chaumière.
L’étendue de la prairie laisse le regard prendre pied, peu à peu, dans cette ferme bretonne. Apparaît alors la bergère. Sans hâte, elle croise les rayons du soleil qui effleurent des vaches laitières sereines.
Se fait à nouveau la relation de cette œuvre avec les heures du jour.
J’imagine les habitants de la chaumière préparant un lambic fameux, né dans la tranquillité et la confiance.
Cette ferme aux arbres alignés montre la forte construction de ses habitants dans cet environnement rayonnant dont le soleil est le seul juge.
Denis Vène
Odilon Redon
Portrait de Paul Sérusier de profil
Lithographie © Musée de Pont-Aven
Dans un monde meilleur, conversation entre mystiques. À ma gauche Sérusier, à ma droite Raspoutine.
– Savez-vous Paul, que votre Cylindre d’Or éclaire mes visions ! J’en ai parlé au tsar, il pense confier la fabrication à nos ingénieurs. Ça pourrait prendre un moment mais…
– Vous pourriez l’appeler « Compagnon de Voyage » ?
– Ah ? Spoutnik ? Bien… À propos, pensez-vous qu’il pourrait y avoir une rue Raspoutine dans Pont-Aven, j’en ai parlé au facteur, il y a une petite impasse en centre-ville…
– Mais Grigori-Efimovitch, que dites-vous là ?! Vous n’avez aucune histoire commune avec cette cité !
– Si si, j’aime beaucoup les macarons.
– Mais ce sont des galettes, Grigori-Efimovitch. Venez, je vais vous expliquer…
Ils sortent, croisant Sébastien Chabal qui cherche une rue.
Ah non ! Vous n’allez pas vous y mettre aussi !
Jean-François de Bonadona
Marcel Gonzalez
Portrait de Madame Botrel
Huile sur toile © Musée de Pont-Aven
Bon sang, quelle mouche a piqué ma chère Maïlise ! Qu’elle se fasse tirer le portrait par ce jeune peintre inconnu, admettons, mais pourquoi m’introduire dans le tableau… Je me sentais déjà bien à l’étroit dans cette affiche depuis près d’un demi siècle, on me rajoute un cadre !
C’est m’enfermer à double tour, et pour longtemps…
En même temps, l’idée est généreuse : je sens mon heure de gloire passée, ma pauvre Paimpolaise ne fait plus rêver. Aujourd’hui on préfère la harpe de Stivell, Glenmor et ses goualantes. Alors si ce jeune peintre a du talent, nous finirons peut-être au Louvre, Maïlise et moi comme la « Belle Angèle » !!!
Enfin, Théodore, je ne suis ni Gauguin ni Léonard… juste Marcel Gonzalez… en toute modestie…
Philippe Guyonic
Alcide Le Beau
Maternité (Réna Hassenberg et sa fille)
Aquarelle et crayon © Musée de Pont-Aven
Les yeux mi-clos, elle rêve à son avenir, une école prestigieuse,… un beau mariage,… une carrière exceptionnelle… ?
Bébé tête goulûment, lové dans les bras sécurisants de sa maman.
Calme
Silence
Sérénité
… et colère
« – Cela ne se voit pas, mais j’enrage !
Moi, Bébé, j’enrage !
Vous me pensez assoupi sur le sein généreux, lové dans les bras aimants. Non, foutaises ! Je capte et décode les projets d’avenirs que ma tendre mère échafaude pour moi.
Non mais !! Mon avenir c’est le mien, et c’est à moi d’en décider !
J’enrage !!
Je manifeste, la main serrée, le poing levé !! »
FC
Ferdinand du Puigaudeau
Fillettes du Bourg-de-Batz
Huile sur toile © Musée de Pont-Aven
Femme-enfant sage et bien mise
Gracieuse et soumise
Front bombé sous le bonnet de dentelle,
Deux petites boules sombres me regardent,
Yeux attentifs et mats,
Bouche muette.
Les mains retroussent à peine la robe de fête
Esquisse d’un pas de danse
cérémonieuse révérence
Petite bretonne, n’es-tu, pour les visiteurs de passage
Qu’une répétition de folklorique image ?
Derrière toi, une flamme, dévoilant un décor convenu illumine un visage. Telle une apparition irréelle, une autre enfant – ton double ? – musicienne, yeux vifs, bouche entrouverte, t’interroge tandis que ses doigts sur les cordes égrènent, en notes cristallines, un rêve de liberté.
Petite fille, quel est ton destin ?
Laurence Graffin-Vène
André Dauchez
Les Murs de la Ville-Close, Concarneau
Eau-forte © Musée de Pont-Aven
Une fumée s’élève jusqu’au ciel, traçant un chemin jusqu’aux nuages ocres. Un pêcheur y a lancé sa ligne, qui miroite au soleil comme un fil d’or. C’est le Pêcheur d’Étoile. Il a ferré le Soleil et se refuse à le relâcher. Sur son bateau-nuage, il se laisse tirer. Chaque jour est un crépuscule éternel, une lente dérive. Et du ciel, il observe. La lumière blanche et pure aux creux des vallées. La couleur bleue des jours d’hiver. Les pêcheurs rentrant au port. Et il se souvient d’un autre jour. D’une autre vie. De l’enfant rêveur qui lançait sa ligne dans le reflet du soleil. Il est désormais le Rêve.
Il est le Pêcheur d’Étoile.
VK
Fin proposition n° 1